S'il y a bien une chose dont ne pourra jamais être certain, c'est du lendemain. On le tisse dans le présent, sans même s'en rendre compte. Il se fait de lui même, et rien n'y personne ne peut aller à son encontre. C'est ainsi, et ça l'a toujours été. Jamais je n'avais imaginé finir mère célibataire, gagnant ma vie en organisant des balades pour touristes. Oh non ! Je n'avais pas du tout envisagé un tel parcours. D'ailleurs, de ce que je pouvais me souvenir, je m'étais toujours vu entrer à l'université. J'y aurais fait de grandes et brillantes études, j'en avais toujours été convaincue. Parvenant à maintenir un parfait équilibre entre le travail et ma vie sociable, entretenant un couple qui aurait duré, encore et toujours. La vie rêvée, n'est-ce pas ? Loin d'être la mienne à l'heure actuelle. Je n'avais pas fait d'études, je n'avais pas de vie de couple, je n'avais rien de tout ça... J'étais heureuse oui ; du moins je me contentais de ce que j'avais et je profitais de chaque instant en compagnie de ma fille. Certes, la vie n'avait pas fait de cadeaux à l'adolescente que j'étais. Mais le destin avait voulu que je connaisse l'amour le plus sincère et le plus fort qui soit : celui d'une mère pour son enfant. Rien que pour ça, je pouvais être fière de mon parcours. Si j'avais écouté mon entourage suite à l'annonce de ma grossesse, j'aurais vécu avec une culpabilité sans limites et pesante. Mon cœur aurait été lourd, fragile et à la moindre difficulté je me serais brisée comme du verre. Emma était ma force au jour d'aujourd'hui. Elle me faisait avancer, et je me battais pour elle. Je faisais tout ce que je pouvais pour lui offrir la vie la plus confortable qui soit, en lui inculquant des valeurs, et le respect. Pour autrui, pour son environnement, et pour elle-même.

Mais ça ne pouvait pas suffire. Il lui manquait quelque chose que j'étais bien incapable de remplacer. Ou plutôt quelqu'un : son père. J'étais impuissante face à ses questions et son besoin de connaître son deuxième parent. Je ne savais plus quoi répliquer lorsqu'à la sortie de l'école elle fixait ses petites camarades dont les papas étaient venus les chercher. Je me sentais bête... Ça non plus je ne l'avais pas prévu. J'avais agit sans penser aux conséquences, et inconsciemment, j'avais blessé ma fille. Un manque trop profond entraîne une souffrance... J'en savais quelque chose. Il n'y avait pas qu'à elle qu'il manquait. Joshua était dans ma tête tous les jours... Dans un petit coin, certes, car j'étais assez grande pour me forcer à ne pas y penser. Je m'occupais l'esprit et contraignait mes pensées à virevolter ailleurs que vers lui, tournant presque le dos à mon passé. Et pourtant... Une fois seule, et bien souvent en forêt lorsque je faisais des repérages de sentiers, je repensais à ce que nous avions traversé ensemble. Et j'en arrivais presque à douter de mes choix. Après tout, n'importe quel mec de dix-sept, dix-huit ans se serait barré en courant en entendant le mot « grossesse ». Lui, il était resté à mes côtés, me supportant durant ces longs mois, me soutenant face à la cruauté du monde et son jugement hâtif et sans appel. J'avais pris la fuite... Mais de quoi ? D'un éventuel bonheur ? Non... Partir avant d'être abandonnée avait été mon choix. Je le lui avais dit, dans cette fichue lettre que je connaissais par cœur tant les mots avaient été difficiles à coucher sur le papier.

Aujourd'hui je n'avais aucun circuit de prévu... Contrairement à ce qu'on pouvait croire, le samedi était assez calme. Il s'agissait du jour de la semaine où les gens allaient et venaient sur l'île. Les nouveaux-arrivants découvraient les lieux, les touristes habitués pliaient bagages et moi j'assistais à tout ça depuis mon petit office. Je m'ennuyais. A force j'avais fini par m'octroyer des pauses... De plus en plus longues... Jusqu'à fermer une bonne partie de l'après-midi. J'occupais mon temps entre Emma et de la détente. La petite étant avec sa marraine aujourd'hui, je me retrouvais seule, tranquille. J'en profitais pour faire quelques boutiques, me balader sur l'île et faire tout ce que je ne pouvais pas réellement faire avec ma fille. Impatiente, cette dernière ne tenait pas en place. Faire du shopping, pour quelqu'un d'autre qu'elle, revenait à une punition. Elle tournait en rond et me tannait pour écourter la virée. Cette fois-ci, j'avais décidé de flâner dans une boutique de musique. J'aimais me perdre dans ces allées, et dénicher des petites perles. Au fond se trouvaient les 33 tours, sans doutes mes préférés. Et puis il y avait les dernières nouveautés, de quoi satisfaire tout le monde. En passant dans les rayons, mon regard se posa sur une couverture, qui instantanément me pinça le cœur. Plusieurs fois j'avais hésité à l'acheter, pour le faire écouter à Emma. Ainsi, j'aurais peut-être pu amener le sujet et lui révéler davantage sur son père... Mais impossible d'aller jusqu'en caisse. Je finissais toujours par le reposer. Ridicule, pas vrai ? Craintive, j'avais peur d'y perdre au bout du compte. Mon cœur avait souffert en me séparant de lui, je ne voulais pas le revivre avec ma fille, ou pire encore lui infliger une telle douleur. Bien que très jeune, elle aurait pu mettre ma parole en doute.

Boum ! Je venais de tomber à la renverse après avoir percuté de plein fouet un client de la boutique. Quelle chute ! J'en avais lâché mon sac et mes deux albums. Je n'avais pas encore eu le temps de me redresser, que déjà on m'agressait. A fleur de peau, je n'étais pas d'humeur. Alors il allait vite se calmer ce type ! « La politesse, c'était en option à votre naissance ? » -lançais-je en frottant mes genoux avant me relever la tête. Soudain ma respiration se coupa net. J'en étais... scotchée. Impossible. Pas ici. Pas dans cette petite boutique, sur cette île... Pas... Je jetais rapidement un coup d'oeil vers le bac à disques, où on pouvait encore distinguer l'album qui m'avait amené à rêvasser. Oui, c'était bien... Je ne pris pas la main qu'il me tendait, paniquant comme une adolescente prise en faute, devant faire face à un flic, un juge, la directrice de l'école, voir même sa mère hyper furax ! « Non, je ne pouvais pas faire attention. » -répliquais-je en époussetant ma veste, la tête baissée. Je le fuyais, à nouveau... Josh...